Le saint KPI.
En tant que parent d’ado j’ai aussi du mal avec ces trucs, ça n’amène que du stress et de la frustration pour tout le monde. Le point sur la note dans le système avant de voir la copie est particulièrement terrible,et certains profs mettent des évaluations de moins en moins utiles, juste une note ou un vecteur de note, sans explication sur ce qu’il faut faire pour s’améliorer, c’est vexant et frustrant
Puisque Marc Bloch va entrer au Panthéon, peut-être devrait-on s’inspirer de ses écrits de guerre :
Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système actuel : celui de bachotage. C’est certainement dans l’enseignement primaire que le poison a pénétré le moins avant : sans l’avoir, je le crains, tout à fait épargné. L’enseignement secondaire, celui des universités et les grandes écoles en sont tout infectés.
« Bachotage. » Autrement dit : hantise de l’examen et du classement. Pis encore : ce qui devait être simplement un réactif, destiné à éprouver la valeur de l’éducation, devient une fin en soi, vers laquelle s’oriente, dorénavant, l’éducation tout entière. On n’invite plus les enfants ou les étudiants à acquérir les connaissances dont l’examen permettra, tant bien que mal, d’apprécier la solidité. C’est à se préparer à l’examen qu’on les convie. Ainsi un chien savant n’est pas un chien qui sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d’avance, l’illusion du savoir. « Vous serez certainement agrégé l’année prochaine, disait naïvement un juge d’agrégation à un de mes étudiants, cette année, vous n’êtes pas encore suffisamment formé au concours. » Durant les vingt dernières années, le mal a fait d’épouvantables ravages. Nos étudiants de licence trébuchent désormais de certificat en certificat. Depuis la révolution nationale, on n’entre plus au barreau sans un examen supplémentaire. Des lycées ont organisé, interrompant pour cela la suite régulière des études, un « pré-baccalauréat ». Dans les librairies médicales de Paris, se vendent, toutes faites, des questions d’internat, qu’il n’y a qu’à apprendre par cœur. Certaines institutions privées ont découpé les programmes sujet par sujet et se vantent d’un sectionnement si juste que la plupart de leurs candidats ne tombent jamais que sur des questions ainsi traitées et corrigées. Du haut en bas de l’échelle, l’attraction des examens futurs exerce son effet. Au grand détriment de leur instruction, parfois de leur santé, d’innombrables enfants suivent trop jeunes des classes conçues originairement pour de plus vieux, parce qu’il faut éviter à tout prix le retard éventuel qui les amènerait plus tard à se heurter aux limites d’âge de telle ou telle grande école. « Tous nos programmes scientifiques d’enseignement secondaire, me disait un physicien, sont conçus en vue de celui de Polytechnique. » Et, dans les lycées ou collèges, les perpétuelles compositions entretiennent moins encore l’émulation, d’ailleurs mal comprise, que l’aptitude au travail hâtif, dont on verra plus tard nos misérables adolescents subir les affres, en pleine canicule, dans des salles surchauffées.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’une pareille manie examinatoire. Mais ses conséquences morales, les a-t-on toujours assez clairement vues : la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves ; la négation de toute libre curiosité ; le culte du succès substitué au goût de la connaissance ; une sorte de tremblement perpétuel et de hargne, là où devrait au contraire régner la libre joie d’apprendre la foi dans la chance (car ces examens, quelle que puisse être la conscience des examinateurs, demeurent, par nature, hasardeux : qu’on veuille bien se souvenir de la curieuse et terrible enquête de Piéron et Laugier, si savamment étouffée par les chefs de l’Université : d’un correcteur à l’autre, voire entre les mains d’un même correcteur, d’un jour à l’autre, elle a révélé les plus inquiétantes variations dans les notes) ; enfin, mal encore infiniment plus grave, la foi dans la fraude ? Car on « copie » dans nos classes, au jour des compositions, on copie dans nos salles d’examen, on copie beaucoup plus fréquemment et avec beaucoup plus de succès que les autorités ne veulent officiellement l’avouer. Certes, je le sais, il subsiste, Dieu merci ! des âmes probes. Je consens même qu’elles soient nombreuses. Elles y ont du mérite. « Faut-il que tu aies bien copié » : ainsi un élève de ma connaissance, qui venait d’être premier et l’avait été honnêtement s’entendait interpeller, sur un ton d’atroce admiration, par un de ses camarades. Est-ce dans cette atmosphère qu’on forme une jeunesse ?
J’ai dit que je ne pouvais présenter ici un programme détaillé de réforme. Il sera délicat à établir. Certaines condamnations à mort s’imposent. Qui croit encore au baccalauréat, à la valeur de choix, à l’efficacité intellectuelle de cette aléatoire forcerie ? Bien entendu, divers procédés de sélection demeureront, cependant, nécessaires ; mais plus rationnellement conçus et en nombre désormais suffisamment restreint pour que la vie de l’écolier ou de l’étudiant cesse d’être enfermée dans une obsédante répétition d’épreuves. Je me contenterai, pour l’instant, d’une suggestion très simple et d’application dès l’abord aisée.
J’ai, comme tous mes collègues, corrigé des copies, interrogé des candidats. Comme tous, je me reconnais sujet à l’erreur. M’arrive-t-il cependant de confondre une très bonne épreuve avec une très mauvaise, ou même avec une épreuve moyenne ? Assez rarement, je pense. Mais, lorsque je vois un examinateur décider que telle ou telle copie d’histoire par exemple ou de philosophie ou même de mathématiques, cotée sur 20 vaut 13 1/4 et telle autre 13 1/2, je ne puis en toute déférence m’empêcher de crier à la mauvaise plaisanterie. De quelle balance de précision l’homme dispose-t-il donc qu’il lui permette de mesurer avec une approximation de 1,2 % la valeur d’un exposé historique ou d’une discussion mathématique ? Nous demandons instamment que – selon l’exemple de plusieurs pays étrangers – l’échelle des notes soit uniformément et impérieusement ramenée à cinq grandes catégories : 1 ou « très mauvais », 2 ou « mauvais », 3 qui sera « passable », 4 qui voudra dire « bien », 5 qui voudra dire « très bien » (non « parfait », qu’interdit l’infirmité humaine). Cela du moins partout où les ex aequo sont sans inconvénients. Il faudra faire étudier à un mathématicien le problème des concours à places limitées. Mais là encore, il doit être possible de se garder de raffinements trop poussés, dont l’absurdité ne nous échappe que par suite d’une trop longue accoutumance. Tout vaut mieux qu’une sottise, qui se prolonge en injustice.
C’était il y a quatre-vingts ans mais ça pourrait être écrit aujourd’hui.
Merci pour ce joli texte,
C’est un des gros problèmes de l’éducation nationale, on a un culte de la note et du concours qui ne rime à rien.
Mouais. Ce n’est que la numérisation de cet esclavagisme a la note que perso j’ai subi toute ma scolarité.